J+92 : les femmes-valises et les femmes-sacs
Avec ce début de voyage à Marseille, je viens de comprendre une chose fondamentale sur les femmes en général, et sur ma nature en particulier ; dans la vie, il y a deux sortes de femmes : les femmes-valises et les femmes-sacs.
Je le dis maintenant d'expérience puisque je me suis acheté, pour la première fois de ma vie, une valise noire bombée comme un scarabée atteint d'aérophagie, avec deux compartiments qui ressemblent à deux ailes repliées. Il y a un code et 2 clés. Je ne savais pas que j'avais acheté en même temps un coffre-fort. Je n'ai pas réussi à faire glisser les molettes du code et j'ai perdu les clés. Ca craint car maintenant j'ai peur à tout instant qu'on me vole mon maillot de bain en zibeline et mes tongs en diamant.
Elle est de plus munie de 4 roues motrices. D'un seul doigt, je peux la faire tourner dans tous les sens. Je peux même danser la valse avec en tenant sa longue anse télescopique comme un beau bras de cavalier. En attendant le train, c'est une utile occupation.
Mais cette chose dernier cri, que tout le monde traîne derrière soi comme un gros rotweiller (regardez les gares et les aéroports), moi, je n'ai pas réussi à la fermer. Je n'ai rien compris au serrures, aux cliquets, ainsi qu'à l'organisation interne, au filet troué central, au croisillon élastique en croix qui se ferme par un bidule mâle en plastique gris, qu'on doit rentrer à l'intérieur d'un bidule femelle en plastique gris, et d'un séparateur de compartiment muni de 2 sangles que je n'ai jamais réussi à accrocher. Alors que je devais partir à 10h15 pour être tout à fait à l'heure, j'étais encore à 10h25 à califourchon sur ma grosse chose dernier modèle dans la position du lion entrain de copuler, des bouts de vêtements s'échappant de tous les côtés de la valise qui ne voulait pas se fermer et râlait de douleur. Il a fallu que je lance un SOS désespéré à mon colocataire que j'ai réveillé brutalement : "au secours ! Robert ! Réveille-toi ! Je vais rater mon train, je n'arrive pas à fermer ma valise". Un Robert hagard, échevelé, en slip, s'est catapulté dans ma chambre. Pendant 10 minutes, il a ferraillé tandis que je me lamentais sur l'heure qui tournait. Enfin le vendeur m'ayant fait une démonstration de solidité pour emporter la vente, je suis montée sur la valise telle une alpiniste triomphante perchée en haut de l'Annapurna, et mon sauveur a réussi à lui faire fermer la bouche.
Evidemment, lorsque je suis montée dans le train, il n'y avait plus aucune place pour caser mon scarabée obèse qui a embêté tout le monde en faisant sa valse tout seul entre les portes du train et la porte des toilettes, durant tout le trajet.
Finalement, c'est ma copine MP, championne du monde de l'organisation et du rangement, esprit ordonné, méticuleux, mathématique, qui m'a donné un cours de remplissage de scarabée. Elle a fini par me convaincre que j'avais acheté une Rolls, qu'avec un peu de méthode et un doigt d'intelligence je n'aurais plus à chercher alentour un dojo et le plus gros des sumos pour fermer ma valise.
Soit. Tout est plié, plus rien ne se renverse. La discipline est entrée dans le ventre de ma bête. Mais je continue à trouver étrange de promener derrière moi cette chose qui fait un bruit de poids lourd quand on la roule. Je ne l'aime pas. Je l'ai prise en grippe. Je la trouve laide. Je crois qu'elle est trop bien pour moi. Ou plutôt qu'on est très mal assorties toutes les deux. Elle n'est coordonnée à aucun de mes vêtements. Elle a la sage allure et la discrétion des voyageurs de première classe et ne convient pas du tout à mon style rock' and roll. N'eût été son prix (75 euros), je l'abandonnerais comme ça sur le bord d'une route. J'ai songé aussi un instant à la donner à un SDF avant de réaliser que ce n'était vraiment pas un cadeau.
Elle m'a fait comprendre en tout cas que moi, je suis une femme-sac à fermetures éclair : on bourre on ferme on porte en silence. Tandis que là, avec cette chose qui est comme une excroissance poussée au bout de mon bras, je me sens un peu comme un alien.
Elle m'accompagnera au retour et puis après, elle ira danser toute seule dans le grand placard de mon HLM. Je l'y abandonnerai sans remords.
Du côté de mon amoureux : aucun signe. Il devait m'envoyer son numéro de portable mais je n'ai toujours rien. Alors je lui ai acheté un monstrueux cendrier en forme de barque surmonté de dauphins bleu-criard, tout en biscuit, estampillé d'un autocollant "marseille" doré collé de travers, d'un mauvais goût exquis. Je vais le lui poster tout à l'heure. Histoire de me rappeler à son bon souvenir. Je me demande si je lui manque un peu. Ou s'il me considère comme moi je vois ma valise...
Sur ce, je vais mettre mon maillot de bain. Et goûter l'eau de la Méditerranée.