J+241 : ET SI J’ESSAYAIS LE SILENCE ?
Moi la bavarde, moi qui aime provoquer au sens de pro « devant » et « vocare », appeler, c’est-à-dire « appeler dehors », « faire venir », « faire naître quelque chose », moi qui aime tant agir sur ce et ceux qui m’entoure(nt), romancer ma vie, moi qui rêve d’amour absolu chaque soir dans mon pyjama rayé ; moi qui aime tant les explications, les approfondissements, les explorations ; moi qui aime tant convaincre et partager, bref, moi qui crois tant savoir parce je sens bien mais qui sens peu au regard de ce que j’ignore ; moi, l’adepte forcenée de la clausule, de la glose et de la scolie, bref, moi qui vis en pointillé en prétendant remplir les blancs du monde avec mon verbe et mes commentaires, moi qui aime beaucoup mais à contresens et souvent à contretemps, moi l’envahissante bestiole qui fait un bruit de moustique, si j’essayais pour une fois le silence ?
Avec ce prince qui n’est peut-être que l’ombre d’un prince, qui n’est pas même un prince, mais peut-être un homme ou le fantôme d’un homme, j’épuise mon vocabulaire. Comment parler à une ombre ou à un fantôme ?
Cet homme m’oblige à ranger mes rêves, à les plier et à les remettre dans ma valise, comme après un voyage. Vouloir parler, c’est vouloir poursuivre le voyage. Vouloir LUI parler, c’est croire à l’infini, ne pas imaginer la possibilité d’une fin par peur d’imaginer avec horreur qu’il n’y a pas eu de début.
Le silence est une résignation. Le silence est d’or mais je lui préfère l’argent. Il y a différentes sortes de silences. Il y a le silence des cyniques qui spécule sur le vide ; celui des désespérés qui thésaurise les écueils, celui des timides que l’éclat de l’or effraie, enfin celui des idiots ciselé par la stupeur. Mais il y a aussi le silence des sages.
Le silence a deux faces : l’une qui a asséché les mots, l’autre qui les cherche. Je suis assise sur la tranche, dans un équilibre précaire. Je sais que je ne suis pas sage car je veux encore commenter le silence.
Le silence, pour moi, n’est qu’une expérience. Je le lance comme on jette sa ligne à l’eau, dans l’espoir de pêcher un goujon. Puis le je remets à l’eau, puis je lance à nouveau ma ligne.
J’ai beaucoup de mal à ne pas vouloir repêcher mon prince, encore et encore. Je mets au bout de ma ligne, à chaque fois, un nouvel appât qui est un mot nouveau.
Mais je me sens un peu fatiguée, assise toute seule sur ma berge, ma ligne à la main, mon tas de mots qui s’épuise à côté de moi. A quoi bon remettre à l’eau et repêcher le goujon quand on rêve de pêche miraculeuse...
Je vais essayer le mutisme de la carpe. Carpe diem.
Sur ce, je vous laisse avec ce vieux truc chouette :