J+326 : DE L’IMPORTANCE DU RANGEMENT DES PLACARDS DANS LES RELATIONS AMOUREUSES (SUITE ET FIN)
Le trottoir vomissait des paquets de supporters de foot hurleurs déjà ivres avant le match. La rue bruissait de cornes de brume, de verre cassé, de chansons idiotes. Ce décor aux antipodes du romantisme n’augurait rien de bon. Mais je me dis qu’il n’était pour rien dans les hasards du calendrier sportif.
Il m’avait donné rendez-vous dans un pub juste à côté. Il était au comptoir en compagnie de hurleurs bleus ou rouges et de ses amis qui m’accueillirent en blaguant grossièrement l’audace amoureuse des femmes françaises. Il avait déballé les circonstances de notre rencontre à tout le pub. Cet accueil tonitruant me fit l’effet d’une douche froide d’autant que la conversation prit assez vite un tour saIace. Enfin, après plusieurs pintes, il m’invita à aller déposer mes affaires chez lui. Le crédit amoureux dont je l’avais gratifié à Paris avait déjà fondu de 50 % (25 % d’indélicatesse + 25 % pour n’être pas venu me chercher à la gare).
A peine passée la porte d’entrée de la petite maison qu’il occupait, les 50 derniers pour cent fondirent comme neige au soleil : adieu veaux, vaches, théâtre, Dostoïevski, premier rendez-vous palpitant, belle chemise romantique. Je ne sais plus ce que mon imagination romanesque avait envisagé comme décor de vie pour un acteur de théâtre réputé. A défaut d’ordre, j’avais au minimum imaginé un intérieur colonisé par les livres. Au lieu de ça, l’entrée me présentait un chromo sur lequel un soleil bleu violent mourait dans un ciel criard. Les titres de quelques livres poussiéreux épars ne suggéraient rien d’autre que le vide de la pensée. Le reste de la maison empestait le beige et le marron. Beige napperon posé sur la télé, marron macramé datant d’un âge incertain. Tout sentait le laisser-aller, le manque de goût, en un mot : la banalité. J’avais l’impression de me retrouver dans les dernières pages du catalogue La Redoute : celles qui présentent des protections de fauteuil à palmettes marron avec un liseré en broderie synthétique crème.
Je me sentis piégée, flouée, trahie. J’avais envie de repartir. Je venais à peine d’arriver. Comment passer deux jours dans cette médiocrité ? Depuis son divorce, il n’avait rien changé au décor de ses 20 années de vie de couple. La chambre bien sûr était à l’avenant. Elle suggérait une libido moribonde et des nuits passées à lire des traités de jardinage. Lorsqu’il me fit visiter derrière la maison la longue bande étroite clairsemée d’herbe, jonchée de mobilier cassé ou renversé qu’il me présenta pompeusement comme un « jardin », il eut le bon goût de préciser qu’autrefois, il y faisait l’amour avec sa femme.
Il avait prévu que nous devions rejoindre ses amis au pub. J’inventais illico une maladie foudroyante. Et je passais le jour et demi qui me restait avant mon départ à m’enfoncer dans la dépression et sous la couette. Il passa ce jour et demi sans moi, au pub avec ses amis vulgaires qu’il jugea bon de ramener chez lui dans son jardin érotique. Je crois me souvenir que j’y ai fait une apparition fantomatique avant de replonger dans ma couette et ma maladie.
Ils ont du trouver bien étranges ou versatiles les filles françaises.
Je ne sais plus comment je suis repartie. Sans doute vite et comme libérée d’un grand poids.
Sa déco était vraiment à chier. Mon idéal amoureux n’y a pas survécu.
Le bel acteur aux yeux bleus est mort aujourd’hui. Il ressemblait à Richard Burton. Comme lui il buvait trop.
Sur ce, je vous laisse avec ça :
Et sur la citation du jour : "A chaque fois que j'ai voulu lancer une femme, cela m'est retombé sur la gueule !". Jacques Chirac.